Tu entres à la maternelle. Un sac trop gros pour ton dos, habillé par ta mère qui est juste beaucoup trop fière de t’y envoyer avec le nouveau « suit » qu’elle a acheté juste pour toi. C’est un moment important. Du moins, c’est ce que tu comprends quand tu la vois prendre des photos tout en reniflant et en essuyant ses larmes de pas-trop-sûre si ce sont des larmes de joie, de fierté ou de tristesse.
Ensuite tu débutes la première année, même chose. Elle pleure et renifle encore. Elle est fière. Elle te dit que c’est le début d’une grande aventure, tu commences ta vie d’élève. Tu en as pour 6 ans. 6 ans à apprendre plein de nouveaux trucs, à te faire des amis. À en perdre. 6 ans à faire des devoirs, parce que les devoirs, c’est la clé du succès. Être attentif en classe aussi. 6 ans à te faire imposer une routine. Tu n’as que 6 ans après tout!
Puis, c’est le secondaire. La polyvalente et tout ce qui vient avec : plusieurs enseignants, les déplacements entre chaque cours, les devoirs chaque jour de ton existence pendant 5 ans! 5 ans à te faire dire de faire tes devoirs. Les premiers amours. L’intimidation. Ton corps et ta tête qui changent plus vite qu’un missile balistique russe. Tu passes 5 heures par jour assis sur tes fesses à écouter un prof parfois cool, parfois immensément plate, et en plus, tu dois te farcir une heure de devoirs et leçons chaque soir. Tu passes aussi ton temps à l’école à te « checker » toi, parce que tu es inquiet du regard des autres. Mais bon, je pense que pour un ado, les devoirs c’est pas mal plus « chill » que tout ce qu’il gère autour de lui, dans son développement.
La vie d’un enfant de 5 ans jusqu’à son cinquième secondaire est longue. C’est 12 ans d’apprentissages, de routines, d’efforts et de discipline. C’est 12 ans d’échecs, de réussites, d’examens. C’est des milliers d’heures à étudier, faire des devoirs et écouter en classe. C’est « tough » en ti-pépère, mais que voulez-vous, il le faut.
J’en parle avec les jeunes qui viennent me voir au bureau et la plupart reconnaissent l’importance de l’école dans leur vie. Ils sont conscients que leur avenir dépend en grande partie de leur réussite scolaire. C’est vrai et ils le savent.
Parfois, je leurs demande comment ils se sentent par rapport à tout ça. Se faire évaluer à chaque semaine ou presque. De se sentir notés en fonction de leurs compréhensions et leurs nouveaux acquis. De se faire dire à chaque semaine s’ils sont « assez ou pas ». Parce que c’est trop souvent ainsi qu’ils réagissent à la réception d’un résultat d’examen. C’est trop souvent ainsi qu’ils intériorisent leurs notes d’examens d’étapes. Ils ont l’impression d’être pas bons, pas intelligents et pas assez.
T’sais, pour notre part, si nos intelligences reposaient sur nos notes en maths ou en sciences… Surtout celles de secondaire 4! Quand on a coulé les deux matières. Quand on pensait qu’on deviendrait « flippeux de burgers » ou caissiers dans un dépanneur chinois pour le reste de nos jours.
C'est le moment où j’ai compris que moi, je ne pourrai jamais réaliser mes rêves, parce que je ne comprenais pas ce qu’était le théorème de Pythagore, l’algèbre ou les différents types d’énergie. Le moment où on me disait (à tort) que j’étais foutu pour le Cégep.
L’adolescence est déjà une période difficile. La plus dure selon moi. On ne la vit qu’une seule fois en plus! Tandis que la vie adulte, elle, on la vit pendant 48 ans. Avant d’être considérés comme des vieux. L’étape d’après. Disons qu’en 48 ans, tu as le temps de te réorienter, de faire d’autres choix, de te connaitre autrement. Mais l’ado lui, on lui demande de faire tout ça en 5 ans de secondaire. Pire que ça, on lui demande de faire tout ça en un an. En secondaire 4. Le maudit secondaire 4. L’angoissant secondaire 4.
On lui répète sans cesse que le secondaire 4 est l’année la plus importante!
C'est pourtant faux.
Au bureau, quand j’en parle avec des jeunes injectés d’anxiété de performance ou d’anxiété tout court, après les avoir écoutés ventiler, et avoir utilisé les sens cachés, je leur pose la question : « … donc j’imagine qu’on te répète que le secondaire 4 est l’année la plus importante? ».
Tous écarquillent les yeux en hochant frénétiquement la tête, l’air paniqués.
Ensuite, ils me répondent tous avec un ton « d’écoeurantite-aigüe » un truc du genre : « Ouin Pierre, pis chu vraiment tanné de l’entendre. T’sais, je le sais que c’est important, mais on me le dit à chaque semaine! ».
Bonjour la pression!
C’est comme si toi, l’adulte, on te répétait chaque semaine que l’année de tes 40 ans était la plus importante de ta vie. Qu’elle sera garante de la poursuite de ton existence. Et si tu n’étais pas prêt(e)? Et s’il t’arrivait un malheur, ou un imprévu durant cette année si importante? Et si tu te faisais « laisser » par la personne qui partage ta vie, juste avant de débuter l’année? Ou si tu perdais ton emploi? Ou si tout simplement, tu n’avais aucune espèce d’idée de ce que tu voulais faire pour la suite? Bref, tellement de variables pouvant ou non t’aider à passer au travers cette année charnière dans ta vie.
Au pire, tu vas gérer. Tu as 39 ans, tu es un adulte. Tu es outillé, capable d’affronter tous les obstacles et les défis. Ou pas. Peut-être que parfois, tu « chokes » et tu choisis tes combats. À 39 ans, tu connais le lâcher prise et la résilience. T’as l’expérience. Peut-être que des fois tu te dis qu’au pire, tu feras mieux à 41 ans et que ton année charnière sera la suivante. Ou l’autre d’après.
L’ado doit apprendre à composer avec la pression, le stress et parfois l’anxiété. Il apprend un peu sur le tas, avec les conséquences de ses choix, les erreurs et les bons coups. Croyez-moi, l’ado est en mission chaque jour. Éliminer son bouton sur le nez, être assez cool pour le garçon assis devant elle en ECR, réussir son examen d’histoire en après-midi, faire son devoir de maths avant le souper, parce qu’après elle a son cours de conduite, trouver son identité sexuel qui lui convient, gérer l’image qu’il se fait de lui-même, chaque jour.
On se demande souvent : Mais merde pouvons-nous sacrer patience à nos ados avec le secondaire 4?
Le secondaire 4 est aussi important que le secondaire 1, 2, 3 ou 5. Chaque année est importante. Pour être prêt pour le secondaire 4, il faut être dedans en secondaire 3 ; pour être prêt au secondaire 3, il faut avoir bien compris en secondaire 2. Bref, tu comprends le principe.
L’avenir à court terme de ton ado de 15 ou 16 ans est important. Son secondaire 4 est important oui, c’est vrai. Mais il l’est à cause de la bureaucratie. Ça se comprend. Et ça s’explique. Et saches que ça se dit à un ado que la seule raison pourquoi il entend en boucle, comme une toune d’ascenseur plate, que le secondaire 4 est l’année la plus importante de sa scolarité, c’est parce que ça facilite la vie des gens habillés propre qui administrent les admissions au Cégep. C’est facilitant pour eux de se baser sur le secondaire 4, parce que sinon ils n’auraient pas le temps. Enfin, c’est plus facile pour eux.
C’est aussi possible de dire à un jeune que l’université et le Cégep n’ont pas qu’une grande porte d’entrée, qu’ils sont aussi munis de portes à l'arrière et au pire de fenêtres.
Et de grâce! Lâchez le galvaudé prends-option-sciences-pour-t’ouvrir-plus-de-portes! Parce que ça pourrait aussi mener l'ado à l’échec et à claquer la porte, s'il ne s"agissait pas de son choix à lui ou parce qu’il a été influencé par ce principe complètement erroné! Au pire, il fera des cours préalables préparatoires si, plus tard, il se vire de bord pour aller dans un domaine scientifique! Il augmentera sans doute ses notes et sa motivation s’il choisissait les options qui l’intéressent lui! Ça l’amènerait aussi à avoir une plus grande confiance en lui.
Bref, ce n’est pas le secondaire 4 qui déterminera le reste de leur parcours!
On ne jugera jamais un parent de vouloir que son enfant maximise ses chances de pouvoir choisir son métier le jour venu. Ça c’est sain! Cependant, on se permet de te dire que la pression mise sur le secondaire 4 est parfois ce qui fait échouer les ados. Qui fait décrocher les ados. C’est aussi ce qui renforcit souvent leur sentiment d’être des pas bons. D'ailleurs, c’est souvent ce sentiment qui les amène à se désinvestir de leurs études. Parce que de toute façon, ils ne sont pas bons! De toute façon, leur secondaire 4 qui va mal prédit un avenir qui ira mal. Alors à quoi bon hein?
L’anxiété qu’a un jeune de 15 ou 16 ans (parce que c’est l’âge que tu as en secondaire 4, 15-16 ans!), parce qu’on lui martèle que c’est l’année la plus importante de sa vie scolaire, est souvent plus dommageable que le relâchement et les mauvaises notes.
Ça paralyse. Ça met trop de pression. Ça amène plusieurs sur la ligne du « give up ».
Il a 15 ou 16 ans. Est-ce qu'on peut lui sacrer patience avec l’année la plus importante de leur vie s’il-vous-plait?
On a souvent vu de bons élèves se mettre à échouer en secondaire 4, parce que trop stressés. La majorité qui décroche le fait en secondaire 4, parce que trop-pas-bon-anyway!
Alors voici comment aborder le secondaire 4 avec ton ado sans lui créer une pression qui risque de le faire péter au frette!
- On explique qu’il entendra toute l’année que son secondaire 4 est l’année la plus importante, pour des questions d’enjeux administratifs.
- On lui explique qu’il y a plein de chemins possibles et que de toute façon, il est fort probable qu’il changera d’idée de parcours en cours de route et que c’est normal.
- On souligne ses réussites et on s’en sert comme levier.
- On se réfère à notre guide "Intervenir avec son enfant qui a des difficultés d'apprentissage", pour bien intervenir avec son ado par rapport à ses études.
- On lui dit qu’on s’attend de lui qu’il ne fasse que ce qu’il a à faire pour se responsabiliser dans ses études, comme pour toutes les autres années d’avant.
- On lui dit qu’on a confiance en lui et en ses capacités.
- On trouve des ressources d’aide pour le soutenir dans ses difficultés académiques ou émotionnelles.
Tu sais quoi? Un ado ne se mettra pas à faire n’importe quoi, à laisser tomber ses études, à décrocher, à avoir de mauvaises notes, parce que tu ne lui dis PAS que le secondaire 4 est l’année la plus importante de sa vie. Il sait très bien que ce sont les relevés de cette année maudite qui seront regardés pour sa demande au DEP ou au Cégep. Faites-lui confiance un peu. On sait que de l’extérieur, ton ado a l’air de se foutre de tout, mais ça c’est seulement pour avoir l’air cool aux yeux de ses paires et pour se dissocier de toi, parce qu’il se développe. Parce qu’intérieurement, ton ado, il sait ce qu’il y a à faire.
Qu'il soit informé que les critères de sélections seront déterminés en grande partie par ses notes de secondaire 4, c’est ok. Une fois, deux fois. Mais chaque semaine, en plus qu’il l’entend à l’école, c’est assez pour déclencher une anxiété de performance dommageable au plus zen et studieux des ados. Ce même ado qui pourrait aller jusqu’à paralyser devant un examen, qu’il aurait bien réussi en général, juste parce que la pression est trop grande.
On le sait que tu lui parles souvent du secondaire 4, parce que tu as la crainte qu’il ne réussisse pas à réaliser ses rêves. Parce que tu veux le mieux pour pour ton ado. Parce que tu ne veux surtout pas qu’il passe par où tu es passé. Inversement il se peut aussi que tu veuilles qu’il passe par où tu es passé. On comprend. C’est beau et bien intentionné. Mais à trop appuyer sur le bouton, c’est là qu’on fait dérailler le train. C’est comme avec l’insomnie. Plus tu te dis que tu dois dormir et moins tu dors! Eh bien avec le secondaire 4, c’est la même chose! Tu te souviens des mousses de nombril? Le fait de faire la différence entre tes besoins à toi et ses besoins à lui? Tes mousses de nombril vs ses mousses de nombril? On t'en a souvent parlé et c'est une des clés pour éviter de prendre une débarque!
Et comme adulte, si tu prends quelques minutes pour faire un retour sur ton propre parcours, tu es très bien placé pour te rendre compte que finalement, le secondaire 4, n’est pas si déterminant de ta vie future.
Alors on slaque sur le secondaire 4, pour aider nos ados à réussir!
- Un texte de Pierre Ouellet et Catherine Parent, fondateurs de la clinique
(Et si le train déraille, appelle-nous!)