***ATTENTION : CONTENU CONFRONTANT
Nous avons été interpelés dans les médias par l’annulation de la fête des mères et des pères, par des enseignants du Centre de services scolaire de la Capitale cette semaine. Nous avons été interpelés, parce que les enseignants, qui avaient de bonnes intentions à la base, ont adressé aux parents que ces fêtes seraient annulées et transformées en « Fête des parents », dans le but de préserver des élèves qui n’avaient pas de maman ou qui vivaient en famille d’accueil.
Et vous comprendrez que si nous prenons le clavier aujourd’hui pour vous en parler, c’est que nous ne croyons pas que cette décision soit la meilleure, aussi bienveillante que furent les intentions de départ.
On t’explique pourquoi.
Premièrement, le fait d’encourager des traditions comme la Fête des mères et des pères contribue à développer et entretenir positivement le sentiment d’appartenance des enfants avec chacun de ses parents. Après le besoin de sécurité, c’est celui de l’appartenance qui suit en importance. Tous s’attendent à faire une activité de bricolage dans la semaine qui précède et cela contribue à apporter du plaisir, mais aussi à développer leur capacité à donner à l’autre. Ils vivent aussi beaucoup de fierté en nous remettant leurs créations, parfois à l’apparence difforme et à l’abondance de paillettes que l’on retrouvera encore dans les craques du plancher jusqu’à Noël. On s’en fout des paillettes, tant que Ti-Poutte vit une réussite.
Faire une activité de Fête des mères et des pères, c’est aussi aider l’enfant à exprimer ses émotions. « Je t’aime maman, plus que mille milliards de litres de Slush bleue ». Wow! Ça c’est de l’expression d’émotions mon ami!
C’est aussi le moment où on obtient de l’information importante comme parent « Papa, je suis heureux quand tu m’amènes faire du vélo. » Oh, papa vient de se découvrir un beau levier d’intervention là!
Tu me diras : « Mais Catherine, ceux qui n’ont pas de maman ou de papa, faut bien les préserver! »
Je te dirais que non. Bon, là tu vas penser que je suis pire que le méchant dans Les orphelins Baudelaire, mais attends un peu avant de me lancer un menhir!
Annuler la Fête des mères et des pères, ce n’est pas de préserver ces enfants de leur situation. C’est de prétendre que leur situation n’existe pas. Et faire cela n’encourage absolument pas le développement de leurs ressources internes. De leurs capacités d’adaptation. De leur gestion des émotions. Toutes des compétences importantes qui réduisent les facteurs d'anxiété.
Et les enfants ne sont pas cons, ils le savent que c'est la Fête des mères qui arrive dimanche prochain. C'est placardé partout! Alors les tenir à l'écart, c'est leur apprendre que leur situation est si terrible, qu'on ne doit même pas l'évoquer. Et ça, pour un enfant, c'est anxiogène. Ça intériorise ce qui fait mal, plutôt que d'apprendre à développer des mécanismes d'adaptation. En fait, c'est de répondre à notre besoin d'adulte en agissant sur la réalité d'enfants qui ont plutôt besoin qu'on les accueille. C'est de transférer sur eux, nos craintes et notre capacité parfois pas assez aiguisée, de composer nous-mêmes avec les émotions.
Ça les fait sentir stigmatisés aussi. Coupables de leur propre situation peut-être même, pour leurs pairs, qui eux, ADORENT ces fêtes et qui en sont privés.
Je vais paraître froide, mais ce n’est pas en annulant la Fête des mères et des pères, qu’on va empêcher ces enfants de souffrir. De souffrir au retour de l’école. De souffrir à la lecture d’un album jeunesse où on retrouve une maman aimante. De souffrir à la vue de leurs pairs qui embrassent leurs pères le matin avant d’entrer dans la cour d'école.
De souffrir point.
Et il vient d’où ce besoin nouveau d’adapter tout en fonction que les enfants ne vivent pas de tristesse ou d'émotions négatives? Vous ne l’avez pas vu le film Inside out (Sans dessus dessous)? Vous utilisez pourtant beaucoup d’affiches sur les émotions à son effigie dans les écoles pour aider les petits à les reconnaître!
Alors pourquoi ne pas les laissez les vivre?
Le film explique pourtant bien que le problème rencontré par le personnage principal est lié au fait que "Joie" fait tout en son pouvoir pour ne pas laisser "Tristesse" s'emparer du contrôle des émotions. Mais on apprend aussi à la fin, que "Joie" avait tort...
Je vais sortir un scoop. LES ENFANTS DOIVENT VIVRE DE LA TRISTESSE POUR ÊTRE CAPABLE D’APPRENDRE À LA GÉRER!
Sinon, bonjour l'anxiété plus tard!
Mais c’est vrai que ça brise le cœur de voir de nos élèves souffrir en se sentant nous-mêmes impuissants. Impuissants au point où on voudrait leur enlever leur peine. Ça nous confronte à l’injustice de voir certains tout-petits humains devoir apprendre à la dure à composer avec leur souffrance. C'est un réflexe humain normal, que de vouloir stopper la souffrance dans l'instant présent. "Pleure-pas.", "Calme-toi.", "Annulons la Fête des mères!". Tout ceci est un bel enfer pavé de bonnes intentions. Mais tu réponds au besoin de qui? À celui de l'enfant qui a le besoin d'être accompagné avec bienveillance dans sa situation? Ou au tien, face à ton impuissance d'adulte et peut-être même à ton manque d'outils pour gérer ce type de tristesse? Tous ont un besoin non-répondu dans cette situation!
Et si tu voulais les aider à s’adapter à leur situation à la place? À les rendre plus forts? À répondre à leur besoin à eux. Et te sentir moins impuissant, par la bande!
Eh bien ce n’est pas en leur faisant éviter leur réalité, qu’ils apprendront à dealer avec malheureusement. C’est en étant outillés pour y faire face. À composer avec ce qu’ils ne peuvent contrôler. À faire appel à leur petit coach intérieur qui leur servira toute leur vie, face à l’adversité. Et ça, ça c’est payant pour leur développement!
Mais comment le faire?
D’abord saches que tout enfant a besoin d’avoir un modèle maternel et paternel. Ce rôle peut être joué par n’importe qui choisit par l’enfant dans son cœur pour remplir ce besoin. Peu importe le genre de la personne qu’il aura choisi. L’important est qu’il s’identifie à un modèle signifiant pour sa structure affective.
On n’a qu’à penser aux familles homoparentales qui jouent parfaitement les deux modèles! On peut aussi penser aux solo-mamans qui ont choisi d’avoir un enfant sans partenaire et qui veillent à répondre d’une manière adéquate au besoin d’avoir dans l’entourage de l’enfant un modèle paternelle.
Ces enfants vivront toute leur vie avec leur modèle familial singulier et devront apprendre à s’identifier et à s’adapter à leur système parental!
Alors si dans ta classe, tu as des enfants qui vivent en famille d’accueil. Des enfants dont un de leurs parents est décédé. Des enfants qui n’ont pas une belle relation avec un parent, pensons entre autres aux enfants exposés à la violence conjugale et qui n’ont pas vraiment envie d’offrir le poème prévu par l’école au parent violent, mais qui le feront tout de même en gardant le silence.
Ces enfants doivent pouvoir ne pas être stigmatisés par leur situation parentale et être encouragés avec bienveillance à participer à cette tradition. C’est ainsi qu’ils vivront un sentiment d’inclusion.
Ça peut aussi être le moment idéal pour aborder des sujets comme le deuil, la gestion de la tristesse ou l’empathie.
Alors ce qu’on suggère de faire n’est pas de modifier ces traditions chères au cœur de tous pour « inclure », mais bien de trouver ta solution dans l’adaptation. Dans l’accompagnement de ces enfants, à faire face à leur réalité difficile.
En les aidant à découvrir qui est leur mère de cœur et leur père de cœur. C'est vraiment un magnifique cadeau à leur faire. Un cadeau qui les encouragera à développer un lien affectif positif, avec une personne dont ils ont besoin pour se développer, malgré leurs difficultés.
Ça peut être grand-maman, la TES de l’école, la mère d’un ami, le prof de sport, le grand frère, le beau-père, ça peut même être toi!
Alors plutôt que d’annuler la fêtes des mères, fêtons plutôt « La fêtes des mères et des mères de cœur ». La fête des pères et pères de cœur aussi.
On t'a créé un outil clés en mains GRATUIT pour t'aider à réaliser cette activité, que tu peux télécharger en cliquant ici! (L'outil pour les papas de coeur arrivera en juin!)
Tous les enfants peuvent y participer et certains pourront trouver dans leur cœur les personnes significatives qui sont si importantes pour passer au travers de leur situation. Alors lorsqu’ils verront dans un album jeunesse une maman aimante, ils penseront peut-être à Mamie, à leur intervenante, à la mère de leur meilleur ami, ou à toi.
Et s’il-vous-plait, n’utilisez plus les textes imprimés, car beaucoup ne ressentent pas nécessairement ce qu’ils contiennent sans nécessairement vouloir le partager avec toi en te nommant leur malaise. Encourage plutôt un bricolage fait par l’enfant à son parent ou parent de cœur.
Parce que dans ta classe, il y a des dossiers qui t’attristent, mais il y a aussi des dossiers que tu ignores et qui se cachent dans le cœur des petits humains à qui tu enseignes.
Ici je t’invite à prendre une pause musicale et à aller jeter un œil à la vidéo d’Arcade fire « Unconditional », qu’on avait utilisée pour notre texte « Comme un air dancer » et tu essaieras de ne pas avoir les yeux mouillés à l'écoute de cette video!
5 commentaires
Bravo! Je vous rejoint entière. Pour avoir failli perdre ma mère qui est restée paralysée à la suite d’un AVC quand j’avais pas encore 10 ans et pour avoir perdu mon
père quand je venais d’avoir 11 ans, j’ai dû vivre avec ces pertes et ces différences. Bien oui. parfois on trouve la situation injuste et triste mais on développe une force et une résilience face aux épreuves.
Il faut arrêter comme société de vouloir faire disparaître les émotions qui nous rendent inconfortables face à nous mêmes et aux autres. Apprenons a faire front devant les difficultés, les souffrances, les pertes et nous serons plus forts tous autant que nous sommes.
Ce texte me confronte vraiment. J’ai deux enfants en famille d’accueil et j’ai trouvé très intéressant la réflexion amenée par les enseignantes. Je comprends vos points mais plusieurs me choquent.
“Et ça, pour un enfant, c’est anxiogène. Ça intériorise ce qui fait mal, plutôt que d’apprendre à développer des mécanismes d’adaptation.” Vous savez que fête des mères ou pas, dans mon cas anyway, les enfants vivent de l’anxiété fois 1000, tous les jours. Au fil des années, ces enfants ont développé des millions de mécanismes d’adaptation. Est-ce qu’ils ont ENCORE besoin d’être placé ENCORE dans une situation où ils doivent ENCORE s’adapter. On se le dira, les enfants en famille d’accueil doivent, ENCORE et toujours faire face à des situations anxiogènes, tous les jours. Il ne faudrait surtout pas déranger la majorité, les privilégiés. Parce que disons-le, si on balaie de la main la réflexion , c’est qu’on vit dans une situation familiale plutôt heureuse et épanouie. De toute façon, la société souhaite déjà taire ce que vivent les enfants en famille d’accueil, ceux en tutelle, ceux qu’on cache dans les centres…
Je suis une psychoéducatrice heureuse de vous lire! Une intention qui se voulait bienveillante peut “virer au vinaigre” si elle ne tient pas compte du réel besoin des personnes à qui elle veut s’adresser…..
Complètement en accord avec ce texte contrairement à Mme Leduc ! Est-ce une tempête dans un verre d’eau ? Certe ! Mais il y a des limites au ridicule ! Il faudrait tout changer au nom de l’inclusion ? Non c’est non un moment donné ça suffit !
Bonjour,
Il y a une différence entre annuler et souligner.
Les enseignantes, qui ont été brûlées vives, par vous aussi, ont utilisé le mot souligner.
En fait, il n’y a pas d’obligation à souligner la fête des mères et la fête des pères dans les écoles.
Plusieurs enseignants et enseignantes le font, mais pas tous.
Je crois que ce qui m’embête dans votre texte, c’est que la réalité dans une classe remplie d’enfants avec des besoins exponentiels et trop peu de ressources et d’aide, n’est pas la même que la réalité dans un bureau, en thérapie.
La formation et le travail des enseignants et des enseignantes ne sont pas les mêmes que les intervenants et intervenantes psychosociaux. Chacun son domaine d’expertise, n’est-ce pas?
Le texte semble avoir été écrit un peu trop rapidement,
suite à un fait divers qui a pris une ampleur démesurée
et sans tenir compte de la réalité dans les classes remplies d’enfants.
Il y a plusieurs nuances à apporter.
Je suis enseignante au primaire.
Je comprends plusieurs éléments du texte mais je suis déçue par plusieurs autres qui ne s’appliquent pas dans une classe, dans un contexte d’enseignement.